L’élite intellectuelle gabonaise et le devoir de rendre intelligible les enjeux du moment transitionnel

10 août 20240
Partager

Dans son essai, L’Afrique et le Gabon au XXIè siècle. Révolution développementaliste ou développement du sous-développement, paru en 2009, le Professeur Marc Louis Ropivia porte un regard critique sur ce qu’il considère comme la responsabilité des élites politiques et intellectuelles dans le développement du sous-développement en Afrique, et au Gabon en particulier.

On peut comprendre par ces lignes que les hommes et les femmes de pensées et d’imagination que sont les intellectuels, n’ont pas joué leur rôle de vulgarisateurs des savoirs et de « conseilleurs » de la société, alors qu’ils ont le devoir strict de participer à la vie publique pour défendre les valeurs.

En cette période transitionnelle gabonaise aux enjeux multiples, dominée par des incertitudes et un espace public occupé en permanence par des « influenceurs et activistes » des réseaux sociaux, l’occupation de la place publique par l’élite intellectuelle devient plus qu’urgent.

Le sociologue Émile Durkheim, considéré comme le père de la sociologie française moderne, n’en dit pas moins dans son ouvrage L’Elite intellectuelle et la démocratie, lorsqu’il souligne que : « l’intellectuel doit aider le citoyen à se reconnaître dans ses idées à l’aide d’ouvrages ou de conférences ».

Il s’agit pour l’élite gabonaise d’exercer son pouvoir de penser et « d’assiègement de l’espace public  », à travers des productions et des interventions publiques, pour ne pas laisser notre société être dominée par les réseaux sociaux où des gens, parfois incultes, inondent la toile avec des vidéos et des discours aux antipodes de la logique, des valeurs et de la vérité.

N’en déplaise aux partisans du rabaissement systématique et du déni d’une élite intellectuelle gabonaise, le Gabon dispose d’une élite intellectuelle compétente dans divers domaines, bien ou mal connue, qui mérite d’être considérée. Celle-ci doit également se faire valoir elle-même, si elle ne veut pas être combattue par des experts autoproclamés.

Dans toute société qui se veut performante, les élites sont sources de dialogues et d’échanges. Elles constituent des moteurs inépuisables des grands débats et grandes problématiques à l’échelle nationale pour rendre intelligible la vie publique et aider les contemporains à se reconnaître dans la chose publique.

Les enjeux du moment transitionnel actuel et la construction de la nouvelle société politique gabonaise doivent être pensés et discutés sans cesse, car ils regorgent beaucoup de subtilités et engendrent toujours des interrogations auprès de beaucoup de citoyens.

Il est donc intéressant de lire très souvent des tribunes ou de suivre les interventions publiques de Bertrand Noel Boundzanga, Flavien Enongoue, Daniel Franck Idiata, Sandrine Nguemebe Endamane, Télesphore Ondo, Serge Loungou, Jean Delors Biyogue, Patrice Moundounga Mouity, Adjo Mbadinga, Chamberland Moukouama… et bien d’autres, sur la vie publique gabonaise.

Il importe de rappeler que l’opération salvatrice de prise de pouvoir par les militaires, qui a aussitôt obtenu la bienveillance des populations gabonaises, dans un contexte de désillusion démocratique, mérite d’être accompagnée.

L’engagement républicain dont les Forces de défense et de sécurité, réunies au sein du Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI), sous la conduite du Général Brice Clotaire Oligui Nguema, ont fait montre, contre toute attente, mérite d’être expliqué, argumenté et explicité par l’élite intellectuelle pour l’intérêt du peuple.

La démocratie et le pluralisme gabonais, âprement reconquis dans le vent des conférences nationales africaines de 1990, mérite d’être protégée. Le régime dit « démocratique » est par définition, le régime politique qui établit comme priorité absolue, la recherche de l’intérêt commun. La démocratie gabonaise a donc besoin de ses élites pour la fluidifier.

La démocratie n’est pas une camisole ou une acquisition définitive sur laquelle on pourrait se reposer, autour de grands principes. Mais, un objet d’interrogations et de remises en cause sans cesse renouvelées, dans le but de la rendre plus crédible et adaptée aux réalités locales. Autant de raisons qui légitiment le besoin d’une présence permanente dans l’espace public de l’élite intellectuelle, c’est-à-dire cette classe de Gabonais dont le niveau de connaissance et l’engagement citoyen sont légitimement reconnus.

En parlant de l’élite intellectuelle ici, nous ne nions aucunement la qualité des compétences propres des citoyens. Certains artisans et opérateurs autodidactes du pays sont d’une très grande valeur et nous ne faisons ici aucune distinction entre les « diplômés  », d’une part, et les « autres », d’autre part. Mais, on doit reconnaitre que certains savoirs sont trop techniques pour être abordables d’une manière non épurée par le plus grand nombre, et c’est là qu’intervient l’importance de la vulgarisation par les élites.

Aujourd’hui, par exemple, plusieurs controverses sont distillées dans l’opinion au sujet du « oui ou non  » lors du moment référendaire qui se pointe à l’horizon, sans oublier les questions (qui fâchent) sur la nationalité et la magistrature suprême gabonaise.

Sur le plan économique, la question de la dette extérieure fait des vagues. Il faut en parler, expliquer et expliciter de sorte que le Gabonais lambda et le citoyen de l’arrière-pays puissent mieux comprendre, afin de s’approprier la chose publique de leur pays.

Au niveau de l’aménagement du territoire, il est annoncé des grands chantiers infrastructurels comme la construction des aéroports, Libreville 2, le réseau routier national, la construction des nouvelles universités, etc. Toutes ces questions doivent être discutées au cours des débats publics, des conférences ou sur des plateaux de télévision pour éclairer les populations et donner des pistes pour mieux aiguillonner les pouvoirs publics.

Dans le contexte actuel de la restauration des institutions et de la dignité des Gabonais, les débats démocratiques et interdisciplinaires doivent s’inscrire aux premières loges pour faire émerger à la portée du plus grand nombre des idées nouvelles qui aboutiraient à un pilotage éclairé de notre vivre –ensemble et assurer le bien du pays et la quête de l’intérêt général.

Il est donc fondamental en cette période transitionnelle que les juristes, politologues, philosophes, historiens, économistes, sociologues et bien d’autres, puissent multiplier les tribunes, les interventions télévisées, les conférences et les séminaires, entre autres, pour faire circuler les savoirs. Les vulgarisateurs de la connaissance qu’ils sont, doivent savoir qu’ils ont une importante responsabilité, car ils se doivent d’être à la base d’une dynamique pluridisciplinaire qui rende vivant et homogène l’idéal d’un Gabon nouveau et digne.

L’apport des médias de masse en cette période transitionnelle apparaît également fondamental pour plusieurs raisons : ils sont, non seulement les vecteurs informatifs entre les élites et le reste du corps social, mais, ils favorisent aussi le dialogue entre les citoyens eux-mêmes.

Ils permettent aux concitoyens d’interpeller les élites politiques sur différents sujets ou préoccupations, mais aussi aux élites civiles de communiquer le contenu de leurs réflexions dans le but, comme souligné plus haut, d’entretenir une société politique dynamique, critique et pensée.

La période transitionnelle actuelle apparaît donc comme un moment particulier où tout un chacun se doit d’être informé avec sérieux sur les grands enjeux du moment, dans tous les domaines, pour que l’après transition soit véritablement une expression de la volonté générale d’un peuple gabonais éclairé et averti.

Il est donc nécessaire que l’élite intellectuelle prenne toute sa place et retrouve sa vocation qui est de rendre intelligible la vie publique pour la construction des destins d’ensemble dans le cadre de la nation gabonaise.

Octave DIOBA MICKOMBA
Docteur en science politique
Citoyen gabonais

Dans la même rubrique

0 Commentaire(s)

Poster un commentaire